Expériences de jeu sur Hordes et Mush
Si vous n'avez jamais joué à Hordes, vous êtes en train de rater votre vie. Oui, vraiment. Essuyer quotidiennement une attaque de zombie à minuit pétante en espérant que les veilleurs seront assez nombreux et que le préposé à la fermeture de la porte n'est pas allé se coucher trop tôt, ça vous forge un mental d'acier, et vous redonne foi en la possibilité qu'un jeu "social" ne se résume pas à spammer vos amis de notifications inutiles.
Mush, autre jeu de Motion Twin basé sur la survie et la coopération, prend place dans un tout autre univers et adapte le principe des Loups Garous de Thiercelieux au pitch d'Alien. Seize joueurs se réveillent dans un vaisseau spatial en rade et doivent retrouver la civilisation. Deux d'entre eux sont infectés par un virus (le Mush) et cherchent à contaminer leurs camarades.
Présentation
De par leur nature de jeu sur navigateur, ces titres ne brillent pas par leur gameplay, ou leurs graphismes. En plus d'être visuellement austère, Hordes est également très routinier. A moins de mettre la main au portefeuille ou d'avoir gagné quelques avantages lors d'une partie précédente, la majorité des joueurs se trouve perdue dans la masse des "habitants" passant la journée en fouille automatique et rentrant le soir pour dépenser leurs quelques points d'action dans les chantiers. Mush est un peu plus joli, intégralement en flash, il permet aussi une plus grande variété d'actions quotidiennes. Mais dans les deux cas l'intérêt se trouve ailleurs, dans les relations qu'on noue, dans les joutes verbales qui décident du destin de ces communautés éphémères, dans le choix qu'on fait constamment de suivre le groupe ou de la jouer perso.
Sans prétendre analyser quoi que ce soit ni évoquer de grands concepts de théorie des jeux que je ne maitrise pas et sur lesquels je risque de dire des bêtises, cet article a pour but de passer en revue quelques comportements rencontrés en situation de coopération entre joueurs.
Là où Hordes laisse au joueur toute liberté de mener sa barque comme il l'entend, Mush fixe les rôles à l'avance. Les seize personnages disponibles ont chacun une fonction et des capacités différentes que vous avez intérêt à mettre en pratique sous peine d'être rappelé à l'ordre. Lors de ma première partie j'étais Stephen le cuisinier (Stephen Cook ... huhu!), après avoir passé les premières heures de jeu à glandouiller en visitant le vaisseau, on m'a fait comprendre que ma place était au réfectoire pour cuisiner des rations et vérifier la comestibilité des fruits trouvés par les explorateurs. Passionnant. Du coup pour mon deuxième run j'ai cherché à incarner un personnage dont le rôle me semblait moins prépondérant pour pouvoir prendre le temps de découvrir le jeu sans qu'on n'attende quoi que ce soit de ma part. J'ai jeté mon dévolu sur Eleesha, la journaliste. Comme prévu, le rôle de ce personnage s'avère limité, personne ne me réclamait quoi que ce soit et je pouvais tranquillement faire des allers-retours en suivant les conseils et objectifs prodigués par Neron, l'IA du vaisseau. Mais là encore je me suis fait reprendre de volée: tout ce que je faisais ce n'était pas à moi de le faire, mon comportement était donc suspect et je me suis pris deux-trois torgnoles par un de mes collègues qui voulait vérifier que je n'étais pas un Mush.
Parce que dans les deux jeux il faut filer droit, sinon vous avez vite fait d'être mis à l'écart, banni, voire soupçonné et tué.
Le traitre, cet incompris
Dans Mush comme dans Hordes la suspicion peut faire partir une session en sucette. Dans Hordes ce n'est qu'accessoire, l'objectif d'une goule (joueur obligé de se nourrir en tuant d'autres joueurs pour survivre) reste de faire tenir la ville le plus longtemps possible, elle a juste un petit challenge supplémentaire qui lui permet de gagner des bonus en dévorant d'autres joueurs. Dans Mush par contre, la raison d'être des contaminés est de pourrir la partie, d'empêcher les humains de retrouver le chemin de la Terre. Meurtres, sabotages, suicides, les mushs gagnent quand les humains perdent, quand le vaisseau explose.
Une goule peut choisir de coopérer et se dévoiler à ses concitoyens qui, si ils sont cools, s'organiseront pour la nourrir en sacrifiant les boulets et les inactifs. ça fonctionne plutôt bien en début de ville, mais plus le jeu avance, plus la goule est dangereuse. C'est en effet le seul joueur qui peut tuer n'importe qui instantanément, mais aussi le seul joueur pouvant être tué par n'importe qui instantanément. Et au moment de la dernière attaque, celle qui décidera du titre de dernier survivant, un joueur de plus ou de moins ça compte. C'est pourquoi se révéler en tant que goule n'est jamais un bon choix à long terme, quelqu'un finira toujours par vous tuer, par précaution. En revanche, si l'on parvient à survivre sans l'aide de la ville, être une goule est un sérieux avantage pour prétendre au titre. Dans une ville où nous n'étions plus que quatre, moi et un autre joueur avons enfermé dehors les deux autres, l'un d'eux était fortement suspecté d'être la goule et l'autre était son pote. Ceci fait, nous nous souhaitâmes bonne chance, et quelques minutes plus tard je dévorais mon infortuné compagnon ... me retrouvant seul en ville et assuré du titre.
Les mushs eux sont intraitables et n'ont aucun intérêt à se révéler pour coopérer: leur but est de détruire la race humaine. Le rôle du Mush est en outre bien plus fun et aucune récompense meta ne les incite à changer de camp, on peut même assister à l'effet inverse et voir des humains s'employer à choper l'infection pour changer de bord quand la situation devient compliquée pour leurs semblables. Pourtant, contre toute attente, il arrive que des joueurs refusent de jouer le monstre Cela se produit le plus souvent dans le cas où ils sont contaminés en cours de partie et doivent subitement changer de camp,se retourner insidieusement contre ceux qui, encore quelques minutes plus tôt, couvraient leurs arrières. Ce comportement émergent est un signe de la réussite de l'aspect social du jeu. Les joueurs mettent de l'affect dans leurs parties, ils en retirent de l'empathie, et la variété des situations non prévues qui en découlent est ce qui fait tout l'intérêt de ce genre de jeu. Pourtant, les développeurs voient les choses différemment et une règle à été ajoutée: la reddition des mushs est interdite et sera sanctionnée. Ce changement a provoqué quelques remous sur le forum du jeu, opposant les adeptes du role-play aux défenseurs de l'expérimentation sociale.
Souvenirs de Guerre
Sur Hordes les joueurs les plus motivés s'organisent généralement en groupes "meta" qui leur permettent de jouer ensemble toutes leurs parties. Ces groupes reposent sur une coopération sans compromis, les membres d'une "coalition" se tirent rarement dans les pattes et s'en remettent au hasard lorsqu'il s'agit de jouer le titre de dernier survivant. Certaines coalitions poussent même le communautarisme jusqu'à s'interdire de jouer le titre et obligent leurs membres à sortir mourir dans le désert une fois que la ville est considérée comme perdue.
L'objectif de ces groupes est de tenir ensemble le plus longtemps possible et seul le nombre de jours de survie et le classement général des villes leur importe. Mais au-delà du Hall of Fame, ce qui fait marcher ces coalitions de joueurs c'est l'esprit commando, le côté frères d'armes. Tenir la vingtaine de jours sur Hordes apporte son quota de dilemmes, de coups de poker, de prises de têtes et de serrages de fesses. Autant de petits événements qui constituent à posteriori des souvenirs communs, des trucs qu'on se remémore et qu'on raconte aux petits nouveaux sur le forum privé de la "coa". Ils engendrent le même sentiment d'avoir fait quelque chose ensemble, d'avoir partagé des moments de vie alternative, que peuvent ressentir les rôlistes ou les membres d'une guilde MMO.
Pour la beauté du geste
Parfois, sans prévenir, sans aucune raison logique, sans opportunisme ni arrière pensée, une coopération ponctuelle survient. Lorsque la situation est inédite, injuste ou FUBAR, les joueurs s'organisent. Dans Hordes, lorsqu'une coalition sensée porter la ville baisse les bras et se suicide en masse, les petits joueurs lambda qui jusque là étaient restés en arrière prennent les choses en mains et font durer la partie plus longtemps que prévu. D'autres fois, alors que la ville végète faute de coordination, et attend la fin sans lutter, des joueurs se trouvent un substitut de motivation à accomplir un objectif ponctuel qui ne leur rapportera rien. Je me souviens d'une ville où un type s'était retrouvé coincé sur un bâtiment en plein désert à cause de la faute à pas de bol alors que les quelques autres joueurs restant se barricadaient en ville et peaufinaient leurs défenses persos. Contre toute attente ces quelques survivants décidèrent de tout planter là et d'essayer de sauver leur camarade. Après avoir construit la catapulte, chantier réputé pour n'être qu'un gaspillage de ressources, afin de lui expédier de quoi tenir le coup, une expédition s'organisa pour aller le chercher. Et, après avoir passé trois jours à camper seul, le joueur perdu fut ramené en ville et put jouer aux côtés de ses sauveteurs le titre de dernier survivant.
Dans ce cas précis, les sauveteurs n'avaient absolument rien à gagner dans ce qu'ils ont fait: gaspiller des ressources, des points d'action, prendre le risque de mourir dans le désert ... pour secourir un joueur et réduire statistiquement leurs chances de décrocher la "Mort ultime". Ils ne l'ont fait que parce que ça avait de la gueule, pour la beauté du geste, pour un dernier baroud d'honneur plutôt que d'attendre la fin de partie chacun dans leur coin.
Ce ne sont que quelques situations choisies parmi les plus marquantes de celles auxquelles j'ai pu assister. Marquantes parce que caractérisées par des comportements émergents, non prévus et impossible à reproduire, qui plus encore que les interactions prédéfinies font à mon avis tout l'intérêt de ces jeux vraiment sociaux.
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